Table ronde : A qui profitent les Etats en faillite ?
Débat animé par Joseph LIMAGNE, Ouest France
avec
David R. BEALL, Commission Inter-américaine de contrôle sur les drogues
Alain LABROUSSE, Observatoire Français des drogues
Nadine MARIE-SCHWARTZENBERG, CNRS
Juan Camilo RESTREPO, ambassadeur de Colombie en France
La Chine n'apparaît assurément pas comme un état faible, bien au contraire lui reproche t'on souvent trop de force. Pourtant, on y observe de nombreux comportements que l'on ne peut pas ne pas considérer comme relevant du crime organisé. Certains de ces comportements sont réellement fonction de choix du pouvoir central. Beaucoup d'entre eux sont pilotés ou tolérés par des niveaux inférieurs de pouvoir, par des mafias, par des lobbys qui tous profitent d'une faiblesse, parfois complice, parfois impuissante, du pouvoir .
Il existe au quotidien de nombreuses sortes de criminalité parmi lesquelles il est difficile de discerner à qui elle profite. L'un des premiers domaines concernés est celui de la non protection de la propriété intellectuelle et industrielle, qui est une des grandes constantes nationales. La recopie, autrefois servile et aujourd'hui de plus en plus sophistiquée, de tout ce que produisent la recherche, l'édition et l'industrie des pays plus évoluées est pratiquée sans aucune limitation. On assiste aussi à des trafics de tout ce qui peut exister. Depuis la prolifération nucléaire et balistique jusqu'aux exportations de migrants clandestins en passant par les trafics d'organes humains, celui de drogue ou de tout ce que l'industrie chinoise peut produire comme contrefaçons. A cette production illégale se lie, bien sûr, une contrebande tout aussi organisée.
On peut distinguer trois grandes sortes de profiteurs, qui s'imbriquent étroitement, les notions d'acteurs, de profiteur et de donneur d'autorisation se confondant en permanence.
Tout d'abord l'état chinois lui même. C'est lui qui organise et gère beaucoup de ce que le reste du monde considère comme des comportements délictueux. Au premier rang les proliférations militaires, nucléaires et balistiques tout d'abord, mais aussi celle des petites armes et de mines en direction de toutes les zones les plus déstabilisés de la planète. Sous la même autorité, l'espionnage industriel est organisé dans le but de compenser les faiblesses de la recherche locale.
Ensuite, les différentes autorités subordonnées. Le ministère de la défense ou les différents ministères des industries sont les principaux acteurs des activités illégales qu'elles soient directement liées à leur domaine de compétence normal ou qu'elles fassent partie des "activités annexes" destinées à assurer l'intendance. Certaines provinces ou autres autorités locales se livrent aussi à des comportements tout aussi coupables, en organisant de gigantesques fraudes très généralement destinées à éviter de payer l'impôt au pouvoir central ou à détourner les subventions nationales pour les réaffecter à de la spéculation. Quant aux entreprises d'état ou aux banques provinciales, certains investisseurs ont découvert en le payant fort cher ce que voulait dire dette non souveraine.
Enfin, les privés. Depuis que Deng Xiaoping a décrété qu'il était louable de s'enrichir et surtout depuis qu'il a justifié un vrai libéralisme au cours de son voyage dans le Sud de 1992, les entrepreneurs privés n'ont reculé devant aucun moyen. La contrefaçon a particulièrement fleuri. Elle est relativement peu dangereuse lorsqu'il s'agissait de recopier simplement et à destination du marché local quelque fabrication qu'un industriel occidental avait cru intelligent de délocaliser. Elle devient dévastatrice lorsque le même copieur acquiert une vraie dimension industrielle suffisante pour évincer sur des marchés export celui qu'il copie ou que, pour un profit rapide, il commercialise un produit dangereux sous la marque d'un grand laboratoire pharmaceutique.
Le niveau d'imbrication des protagonistes est difficilement imaginable dans les pays de droit. Les armées produisent des CD ROM piratés dans des usines, équipées de chaînes de production d'origine occidentale et achetées grâce à des garanties de haut niveau. Des mines "clandestines" emploient des centaines de travailleurs.
L'arrivée au pouvoir, beaucoup moins rapide que certains ne le pensaient, d'une nouvelle génération de dirigeants pousse la Chine à devenir un état de droit au sens occidental du terme, ce qu'elle n'est toujours pas. Pékin fait certainement un vrai effort dans ce sens, pour donner à l'Occident les gages qu'il exige et pour réaffermir le pouvoir central. Des campagnes contre les contrefaçons, la corruption, la contrebande, d'autres trafics ont eu lieu. L'état ne pouvant se déjuger, elles se sont généralement limitées à l'exécution de lampistes ou de personnages indéfendables, mais un certain mouvement est lancé. Il a vu en 1998 l'armée perdre -théoriquement- ses activités annexes, et en 2000 plusieurs gouvernements provinciaux se faire remettre au pas.