Défenses et finances

  Accueil ] Remonter ] Prix des matériels ]

Depuis toujours, les analystes géostratégiques désirent évaluer les outils de défense des nations autrement qu'au travers des résultats d'une vraie confrontation sur le terrain. Parmi les différentes méthodes envisageables, celle qui consiste à comparer les moyens financiers consacrés aux forces de chaque pays paraît la plus évidente, d'autant plus que des chiffres qui étaient très confidentiels il y a quelques années s'affichent aujourd'hui volontiers sur Internet.

La réalité n'est pas aussi simple, et il est nécessaire de pousser l'analyse très au delà des données brutes et officielles pour pouvoir essayer d'en tirer quelques enseignements dont la portée est parfois loin d'être satisfaisante.

L'analyse des budgets annoncés

Les nations publient de plus en plus souvent un budget de défense, souvent avec force détails. Mais, budgets et dépenses de défense sont deux choses différentes. Alors que les budgets généralement votés par les Parlements, les dépenses réelles sont décidées par les exécutifs et ne font pas, loin s'en faut, l'objet d'une même publicité.

Le problème est que les structures des budgets sont fort différentes d'un pays à l'autre, au point de rendre caduques beaucoup de comparaisons. On tente parfois d'établir un schéma type auquel on pourrait ramener toutes les constructions, mais cette démarche est complexe.

Les éléments du coût d'une défense

Parmi les différentes composantes des dépenses de défense, on doit d'abord distinguer entre les coûts rémanents et ceux, ponctuels, qui sont liés à l'actualité.

Coûts rémanents

Les premières dépenses directement liées aux personnels se décomposent en pensions, qui sont souvent exclues des budgets de défense proprement dites, et des soldes. S'y ajoutent les coûts des déplacements liés à l'entraînement, mais aussi, pour de nombreux pays, la prise en charge de l'hébergement des militaires et souvent de leurs familles ainsi que les différentes prestations servies à titre gratuit. La structure même des forces, selon qu'elles font appel ou non à la conscription, selon la place qu'elles font aux réservistes et aux forces para militaires, entraînent des répartitions de coûts très variables.

L'entraînement des forces nécessite de déplacer des hommes, mais aussi des matériels. Il entraîne des consommations de carburants, de munitions et l'utilisation de zones et de structures spécifiques. Il a aussi un coût d'attrition et entraîne une usure des matériels.

Les forces armées utilisent, aussi bien pour leur stationnement que pour leur entraînement des infrastructures dont elles sont généralement propriétaires. L'évolution des technologies les plus récentes, dont les armées sont de grandes consommatrices, oblige sans arrêt à des constructions nouvelles, souvent fort coûteuses. Voir : "pourquoi les matériels de défense sont si chers"

Les achats de systèmes d'armes, d'armes et de munitions destinées aux opérations, mais aussi de tous les équipements périphériques, qu'ils soient "basiques" ou chers et spécialisés, nécessaires à leur mise en œuvre, représentent une part importante des dépenses de défense. Mais il est très difficile de déterminer la part qu'occupent ces dépenses d'investissement, ne serait-ce que parce que la matière grise qui représente la plus grande part des coûts peut être comptabilisée aussi bien dans les soldes, dans les pays où l'industrie d'armement dépend du Ministère de la Défense que dans le prix de vente des matériels si l'industrie est complètement privatisée.

On pourrait avoir défini ainsi quelques grandes catégories dans lesquelles il serait possible de faire rentrer toutes les dépenses. Il n'en est rien. On n'arrive toujours pas à définir le prix d'un matériel. Faut-il inclure les frais de recherche et de développement ? Dans quelle ligne mettre les rechanges ? Comment calculer l'amortissement des matériels ? On s'aperçoit qu'en fait tout est imbriqué. Et évidemment, aucun pays n'a la même manière de comptabiliser.

Dépenses ponctuelles

Aux dépenses rémanentes, qu'états-majors et financiers s'acharnent à essayer de prévoir au plus juste, s'ajoutent celles que commandent les événements.

Au premier rang de ces dépenses se trouvent bien entendu celles liées à la participation à des conflits. S'ils engagent directement le pays, celui ci passe en "économie de guerre", dans laquelle la rationalité disparaît largement. Par contre, de plus en plus souvent, les grands pays participent à des opérations hors de leurs frontières, au titre du maintien ou du rétablissement de la paix. Une enveloppe budgétaire est toujours plus ou moins prévue, mais elle n'est jamais adaptée. Ces opérations ont un coût d'entretien des hommes (hébergement, primes diverses, pertes), mais aussi en coût matériel (pertes, usure, consommation de munitions….), qui sont généralement à peu près chiffrables. Au delà de ces chiffres, il faut aussi prendre en compte les retombées financières négatives de l'après conflit, redéploiement des coopérations, reconstruction, matériels abandonnés…

Les changements technologiques ou tactiques apportent aussi leur lot de surprises, souvent mauvaises sur le plan financier. La course à la technologie entre adversaires potentiels, la nécessité d'être intéropérables avec les alliés, les interventions sur des théâtres lointains sont de plus en plus pesantes et coûteuses.

Budgets annoncés et dépenses réelles

Si les budgets sont souvent publiés, même si la transparence n'est pas toujours de rigueur, les dépenses réelles sont beaucoup plus difficiles à saisir.

Comparer quoi ?

Pratiquement toutes les comparaisons financières internationales se font en dollars. Mais la monnaie de référence n'est pas une monnaie unique. Les taux de change varient dans le temps, mais aussi le pouvoir d'achat d'un dollar n'est pas le même partout. On a donc voulu créer une monnaie fictive de référence, le dollar PPA (parité de pouvoir d'achat), qui applique un coefficient de référence permettant des comparaisons qui paraissent plus judicieuses. Le problème est que cette parité de pouvoir d'achat est calculée sur un "panier de la ménagère", qui n'a pas grand chose à voir avec les besoins d'une défense nationale. De plus, si ce type  de calcul s'applique aux dépenses de fonctionnement et aux achats réalisés localement, il ne faut jamais oublier que les importations se négocient en dollars réels.

De nombreuses autres difficultés sont liées au fonctionnement même des finances publiques de chaque pays. Annualisation ou non des contrats, procédures budgétaires différentes, codes des marchés publics particuliers font que la même somme en libellé ne correspond pas du tout à la même capacité d'achat. Il existe aussi une large différence entre le coût des matériels achetés dans une logique industrielle et celui de ceux qui sont fabriqués par des arsenaux d'état, comme il en existe entre les achats sur étagère et les fourniture correspondant à de programmes complets.

Budgets de défense et considérations politiques

Entre le budget, qui est dans les démocraties l'apanage du législatif et les dépenses réelles, qui sont partout du ressort de l'exécutif, il devrait y avoir une parfaite adéquation. On s'aperçoit qu'il n'en est rien pour une foule de raisons aussi bien techniques que liées au conflit des pouvoirs.

La difficulté de faire coïncider budgets et dépenses, même avec la meilleure volonté du monde est réelle et n'est d'ailleurs pas du tout un problème spécifique des armées. Après tout le budget n'est qu'une prévision, qui doit se confronter aux réalités dans un contexte particulièrement évolutif car principalement commandé par les réalités, surtout depuis que la fin de la Guerre froide a fait sortir les défenses nationales des grands pays d'un schéma figé et donc assez facilement prédictible.

Au delà de ces contraintes techniques, le budget de la défense est considéré par beaucoup de gouvernants comme une variable d'ajustement, surtout dans les pays où le poids politique des militaires est faible.

Les manipulations

En dehors des manques de transparence "techniques", il existe des dissimulations volontaires, particulièrement dans les états non démocratiques. Mais en dehors des simples dépenses non publiées, il existe de nombreuses autres sources de dissimulation. La plus classique est celle qui consiste à faire financer par un autre ministère des dépenses qui normalement devraient être assurées par la défense. Il s'agit principalement de recherche, mais il peut y avoir aussi des fabrications et la prise en charge de personnels. De nombreuses forces armées bénéficient aussi de ressources non budgétaires, parce qu'elles bénéficient des revenus de certaines ressources naturelles (parfois y compris de trafics ou de rackets) ou parce qu'elles exercent des activités industrielles et commerciales.

Paradoxalement, certain budgets de défense contiennent des lignes qui ne sont pas utilisables par les armées du pays et sont transférées vers d'autres ministères, quand ce n'est pas vers des entités non étatiques. Cela va des budgets de recherche dans des domaines n'intéressant pas, même indirectement, les forces armées, au financement d'armement inutiles permettant de garantir une paix sociale ou à la mise à disposition de personnels de la défense.

Dans les grands pays, toutes ces manipulations tendent à s'estomper, parce que la dissémination toujours plus grande de l'information permet chaque jour davantage de mettre à jour les anomalies.

Comment analyser quand même

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, on pourrait penser que la comparaison des budgets n'est pas pertinente. Elle demeure pourtant un bon outil, surtout si l'on connaît bien les éléments permettant de relativiser les annonces et de les faire coller aux réalités. Par ailleurs, plutôt que de se cantonner à des comparaisons entre des chiffres que l'on tente de ramener à périmètre constant, il est intéressant de travailler en tendance ou en capacité.

En tendance, on analyse l'évolution d'une année sur l'autre, pour la mettre en rapport avec celle d'un pays de référence, qu'il soit voisin ou non. Les grands pays qui ont le plus évolué en tendance au cours des dernières années sont la Chine (+ 12 % de moyenne) et l'Inde (+ 10 %). Mais, encore une fois, il faut se méfier de tels chiffres. Autant le budget indien est relativement transparent, autant celui de la Chine l'est moins. Dans ce dernier pays, l'inflation était supérieure à la croissance du budget en 1994, alors qu'elle était tombée à moins de 5 % en 2000. Mais dans le même temps, la réforme lancée en 1998 atteignait sa pleine ampleur, faisant disparaître les "revenus annexes" et obligeant à augmenter fortement les soldes.

La comparaison des capacités est un exercice complexe mais qui peut apporter beaucoup de résultats, à condition de ne pas se limiter à ce seul type d'analyse. Il s'agit de comparer ce qui est comparable, c'est à dire des nombres de chars ou d'avions ou de bateaux, en les affectant d'un coefficient de valeur opérationnelle.

On arrive ainsi à essayer de définir des "indicateurs pertinents", qui servent surtout à établir des classements plus que des comparaisons. Le premier est, malgré tout, celui du budget de défense, qui définit à la fois le volume global et la modernité d'une armée. Sans surprise, celui des 10 premiers pays du monde (Etats-Unis, Japon, Royaume Uni, Russie, France, Inde, Chine, Italie, Allemagne et Arabie Saoudite) représente 73 % du total des budgets mondiaux, dont plus de 40 % pour les seuls Etats-Unis. Le pourcentage du PIB consacré à la défense dénote le niveau de priorité qu'elle détient. Dans le club des pays où ce pourcentage est supérieur à 5% (26 membres), on trouve des pays en guerre ou situés dans des zones de conflit. Le nombre de dollars que chaque habitant d'un pays consacre à sa défense caractérise aussi l'effort de défense. Il peut atteindre plus de 1000 dollars/habitant (Emirats, mais aussi Israël, USA et Singapour) ou être limité à quelques dollars/habitant. Il ne dépasse pas 12 dollars/hab en Inde ou 10 dollars/hab en Chine. Dernier critère intéressant, le nombre de dollars qu'un pays consacre à chaque militaire, qui est significatif à la fois son niveau d'équipement et son niveau de vie . Il dépasse 200.000 dollars par homme en Australie et aux Etats-Unis, pour tomber vers 10.000 dollars/militaire en Inde, 5000 en Chine et moins de 1000 dans certains pays.

Les évolutions

Suivant que l’on raisonne en dollars réels ou en parité de pouvoir d’achat, l’ensemble des dépenses militaires dans le monde est comprise entre 700 et 1000 milliards de dollars par an, à peu près la même valeur absolue qu’en 1970. Par contre, le pourcentage du PIB que les pays consacrent en moyenne à leur défense est en baisse sensible, puisqu’il est désormais de l’ordre de 2.4%, contre 2,7% cinq ans auparavant.

Etats Unis

Lors de sa réélection, Bill Clinton avait promis une baisse des budgets militaires. Pourtant, lors de sa deuxième présidence l'influence de la majorité républicaine au Congrès et une évolution économique plus florissante que prévue ont conduit à une hausse - limitée mais réelle - des ressources allouées, même si la part de PIB consacrée à la défense est descendue vers 3%. Les budgets 2000 et 2001 ont connu peu de changements d'orientations et, avec environ 290 milliards de dollars, les dépenses militaires des Etats-Unis représentaient environ le tiers de l'ensemble des dépenses de défense dans le monde. 

La volonté de revaloriser la condition militaire et de permettre une meilleure capacité de projection des hommes, y compris les réservistes a été confirmée. Ceci s'est traduit par une étude en profondeur sur l'emploi réel des personnels et un redéploiement de ressources en direction des unités les plus sollicitées.

Dans l'attente des résultats des élections les grands programmes ont été poursuivis sans changement, tout en sachant parfaitement que le prochain président risquait de tout remettre en question, ce qui sera fait. Seul le programme F 22 (avion de combat multirôles) a été remis en cause, tandis que les études sur la NMD bénéficiaient d'un complément de ressources.

La part "Recherche et développement" du budget est restée stable, et représente près de 40 milliards de dollars, soient plus de 13 % de l'ensemble du budget de défense, et près de 5% de l'ensemble des budgets de défense de tous les pays du monde.

L'arrivée de la nouvelle administration Bush a remis en cause beaucoup des choix de leurs prédécesseurs. Le lobby militaro-industriel et les "faucons" voulaient croire que le nouveau Président leur permettrait de dépenser plus. Il semblerait qu'il leur imposera plutôt de dépenser autrement en fonction des conclusions, assez prévisibles, de la "revue stratégique", pilotée par Andy Marshall, qui veut conduire à une profonde transformation des concepts de défense américains et des moyens associés. La future armée américaine devra être capable de se projeter vite et loin et de frapper à distance de sécurité. Pendant ce temps, le territoire national et les moyens déployés seraient protégés par l'ombrelle de la "Missile defence". Mais surtout, les événements de septembre 2001 ont permis de procéder à de très importantes augmentations du budget, qui atteint désormais environ 340 milliards d'USD, rejoignant ainsi ce qu'il était vingt ans plus tôt

Les aides militaires à l'étranger ont été maintenues dans les mêmes volumes que précédemment, de l'ordre de 8 milliards de dollars. On note que les pays directement concernés par le processus de paix au Moyen Orient (Israël, Egypte, Jordanie et Autorité palestinienne) sont les principaux bénéficiaires de cette aide et surtout de son augmentation intervenue en 2000. Leur part représente plus de 10 % de l'ensemble des budgets de défense des pays du Moyen Orient, Iran et Irak compris.

Europe de l'Ouest

Si la fin de la décennie 90 a été marquée par des changements très importants des concepts même de défense en Europe, les budgets ont peu changé en volume, après avoir, au nom des dividendes de la paix et de la lutte contre les déficits publics, baissé de 22% entre 1992 et 1999.

Quand, fin 1999, les Européens ont décidé de lancer le processus devant conduire à la mise sur pied d’une capacité d’action militaire commune, il est rapidement devenu évident que ceci aurait des implications budgétaires. On a alors beaucoup parlé de critères de convergence dans ce domaine aussi, qui auraient permis d’égaliser l’effort de défense consenti par les nations. Trois pays (Royaume Uni, France et Italie) ont annoncé une augmentation de leur effort de défense et seul le premier l’a traduit dans les faits. En comparaison avec les Etats Unis, les Européens de l’OTAN dépensent moins bien. Les effectifs sont deux fois plus importants [1], principalement à cause de la rémanence des gros bataillons dans les forces terrestres et du doublonnage des états-majors. Aux Etats Unis, les dépense de recherche et développement sont de 35 milliards de dollars par an, contre seulement 9 milliards par an en Europe otanienne, qui sont de plus grevées par les redondances multiples. Les dépenses d’équipement sont toujours inférieures en pourcentage à celles des Etats-Unis (environ 30%), avec d’assez bons élèves - plus de 22% -(Royaume Uni, Turquie, France, Norvège), et de très mauvais élèves - moins de 10% - (Belgique, Pologne, Portugal). Le passage à l’armée de métier, en cours en France, en Italie et en Espagne, implique aussi des dépenses –augmentation du volume des soldes, incitations au départ, réformes d’infrastructure- qui, dans un contexte budgétaire contraignant, sont récupérées sur les budgets d’équipement. Dans le même temps, les nouveaux membres de l’OTAN (Hongrie, République tchèque et Pologne) découvraient, généralement avec surprise, le coût réel de leur engagement et le fait que l’aide à attendre de leurs nouveaux partenaires ne leur épargnerait pas un très sérieux effort de remise à niveau de leurs forces, souvent au dessus de leurs possibilités. La Turquie aussi, frappée par une très grave crise économique, a du revoir très sérieusement à la baisse son grand programme d'investissement, en supprimant ou en étalant les achats programmés.

Pourtant, en moins de deux ans, des modifications aussi significatives que porteuses de changement à long terme ont été enregistrés. Elles sont toutes articulées sur un passage d’un concept très nationale des industries de défense à une notion européenne. Ceci est d’autant plus surprenant que lors du sommet d’Helsinki les ministres n’avaient pris aucune initiative notable en matière de coopération en matière d’armement. Convergence d’un vieux rêve et d’une génération “ spontanée ” née des contraintes de la mondialisation, les initiatives se sont succédé et ont abouti dans des délais inhabituellement courts. Les restructurations industrielles, marquées par la fusion, décidée en octobre 1999 et réalisée en juillet de l’année suivante, d’Aérospatiale Matra (France), DASA (Allemagne) et CASA (Espagne), groupes eux-mêmes issus de fusions récentes, a donné naissance à un groupe aéronautique de taille mondiale. Le choix d’un avion de transport tactique commun aux sept pays européennes ayant éprouvé un besoin a longtemps traîné jusqu’à ce qu’à l’été 2000 une décision soit prise en faveur de l’Airbus A400M. D’autres initiatives de rapprochement industriels sont encore en cours, même si la lourdeur des “ arsenaux ” étatiques, refuges des pires conservatismes, retardent encore les constructions multinationales. Pour donner un cadre aux nouveaux processus rendus indispensables par ces restructurations, une agence européenne de l’armement, l'OCCAR, impensable il y a encore quelques années, a vu le jour et pilotera sans doute tous les programmes d’armement futurs.

Après quelques constations plutôt négatives sur le plan de l’efficacité des dépenses de défense européennes, on voit donc se dessiner, en liaison avec des initiatives très pragmatiques sous-tendues par une vraie volonté politique des moteurs que sont actuellement la Grande Bretagne et la France, un nouveau paysage. Et l’on commence même, alors que l’étape des critères de convergence a été manquée, à entrevoir le passage direct à celle de la programmation commune.

Autres européens

Les pays européens non engagés dans l’OTAN, qu’ils soient ou non candidats à cette adhésion ou à l’intégration dans une Europe qui les conduirait à faire des choix en matière de défense, ont généralement des contraintes budgétaires telles que leurs dépenses de défense stagnent généralement. Sur les 16 milliards de dollars que dépensent chaque année ce groupe de pays, la Suède et la Suisse comptent pour plus de la moitié, avec des budgets et des formats stables.

Deux pays – Roumanie et Bulgarie - ont décidé d’entreprendre une restructuration radicale de leurs outils de défense à l’horizon 2004. L’Ukraine a annoncé une augmentation forte de son budget, mais le financement n’en est pas assuré. Enfin, les conflits qui perdurent dans les Balkans entraînent des dépenses non contrôlables et, en tout état de cause, non constructives.

Russie

Depuis la fin de l’U.R.S.S., l’an 2000 a marqué une troisième étape, celle de Poutine, qui ne sera pas sans conséquences sur la vision qu’a la Russie sur sa défense nationale. Parfois contrainte par les événements réaction (nouvelle campagne en Tchétchénie, prise en compte de la NMD), la Russie de 2000 fait aussi des choix, celui du rapprochement avec l’OTAN et d’une nouvelle position, plus active et dynamique. Peu après son arrivée au pouvoir, Poutine a fait entreprendre une revue des concepts et des doctrines, qui a conduit à essayer de mettre en adéquation, ce qui n’était pas fait auparavant, les menaces, les ressources économiques et les réalisations concrètes.

Les chiffres de la défense russe demeurent difficiles à apprécier. On peut cependant penser que, malgré les difficultés économiques que traverse le pays, les armées demeurent bénéficiaires d’un bon niveau de priorité et que la part de budget qui leur est consacrée va au delà des annonces officielles. Les dépenses opérationnelles en Tchétchénie, comme beaucoup d’autres, sont largement prises en compte par des lignes budgétaires d’autres ministères. Les exportations d’armement, en particulier vers l’Inde et la Chine, sont aussi une bonne source de revenus.

Asie

Avec plus de 50% de la population mondiale, l’Asie ne représente que moins de 20% des dépenses militaires, avec une part de PIB moyenne inférieure à 2%. Encore faut‑il considérer que le Japon, à lui seul, représente un tiers de ces dépenses.

Derrière lui, plusieurs pays affichent des budgets de défense équivalents, entre 12 et 16 milliards de dollars par an : Australie, Corée du Sud, Taiwan, Inde et Chine. Ce sont évidemment les deux derniers qui ont retenu l’attention en 2000, Taiwan reprenant la vedette en avril 2001, quand l’administration Bush a autorisé la vente d’un package d’armes suffisant pour dénier à la l’APL la possibilité d’effectuer un blocus de l’île irrédentiste. Autant New Delhi présente des comptes extrêmement détaillés, autant ceux fournis par Pékin sont opaques. On tend d’ailleurs à leur affecter des coefficients, souvent fantaisistes. Ce qui est important est de noter la progression annuelle des budgets de ces deux puissances nucléaires antagonistes, qui ont de plus un fournisseur commun. Le budget chinois augmente de plus de 10% par an depuis plus d’une décennie. Mais, ce qui ne suffisait pas à couvrir l’inflation au début de la décennie 90 est désormais consacré à compenser la perte par les militaires des revenus annexes qu’ils tiraient de différentes activités dont le pouvoir central les a progressivement privé depuis 1998. Pékin a choisi de développer un noyau dur de forces convenablement armées et entraînées, dont le volume demeure extrêmement limité. De son côté, l’Inde vit et paye son passage au statut de puissance nucléaire régionale. Dans un contexte économique qui demeure malaisé, les autorités politiques ont fait le choix de développer des forces nucléaires réellement crédibles depuis 1999, et en payent aujourd’hui le prix.

Moyen Orient

Cette région, avec plus de 7% de pourcentage du PIB consacrée à la défense occupe une place à part dans le monde. Grande consommatrice d’armes importées, elle se prépare en permanence à des conflits qui, depuis la guerre Iran Irak, ne prennent pas la forme attendue. L'Arabie Saoudite, à elle seule, assure plus du tiers des dépenses de la zone, suivie par l'Iran, puis Israël et l'Egypte, ces deux derniers pays bénéficiant de plus d'une très substantielle aide américaine. Quelques émirats de petite taille consentent un effort financier particulièrement important, ce qui leur permet de se doter de forces de haut niveau.

Amérique Latine

L'Amérique latine, qui représente 6% de l'économie mondiale et 8% de la population du globe, ne consacre pas une part équivalente à sa défense, puisque ses dépenses dans ce domaine ne représentent que 3% de l'ensemble, deux fois moins que la moyenne des autres pays. La disparition des conflits entre nations, l'extinction de beaucoup des guérillas, la disparition des régimes militaires sont autant de causes qui, ajoutées aux conséquences plus ou moins graves des diverses crises économiques qui ont frappé les pays les plus importants de la zone, expliquent cette faiblesse des budgets militaires.

Afrique subsaharienne

Plus de 10% de la population du globe, mais seulement 1,1% du PIB, dont la moitié pour deux pays seulement (Afrique du Sud et Nigeria) : les budgets de défense sont très limités, et encore sont-ils souvent consommés au cours des conflits et des guerres civiles qui se succèdent. Le désengagement des grandes puissances a encore accéléré la dégradation de la plupart des armées, même si  certains pays africains tentent de doter le continent d'une capacité à régler lui-même les conflits.

Enfin, l'Afrique du Sud, qui avait entrepris un ambitieux programme de modernisation de ses forces, a été frappée par une crise économique qui l'a amenée à remettre en cause la plus grande part des acquisitions programmées.

Les grandes tendances

Une décennie après l'effondrement de l'U.R.S.S. et principalement à la lumière de la Guerre du Golfe et des opérations au Kosovo, de nouvelles orientations lourdes se sont mises en place dans certaines doctrines, en particulier aux Etats-Unis qui demeurent, qu'on le veuille ou non, une référence en matière de matériels militaires.

Des menaces différentes

La perception des conflits potentiels a changé. Beaucoup de pays, en particulier les Européens, n'ont plus d'ennemi direct prévisible. Ils doivent donc adapter leurs forces à d'autres missions, en particulier les fameuses "Missions de Petersberg", c'est à dire tout ce qui concerne le maintien de la paix, plus ou moins loin des frontières. Ceci implique de passer de gros bataillons, principalement armés de blindés lourds, à des forces plus légères, très mobiles et projetables. Dans beaucoup de pays, on a pensé que cette évolution pourrait se traduire par des diminutions de coût global de la défense. Quand, de plus, des difficultés économiques se superposaient à cette approche, la tentation a été grande de diminuer les budgets, aussi bien en diminuant les effectifs qu'en réduisant, ou retardant, les acquisitions de matériels.

La course à la technologie.

Dans un autre registre, et pour d'autres raisons, les Etats-Unis, largement suivis par les pays qui le pouvaient, ont imposé une course à la technologie. Le but avoué de cette course en avant est de diminuer les risques courus. Cela est valable aussi bien par les troupes intervenantes (concept "zéro mort", obtenu surtout par une limitation des contacts directs et par la prévention des tirs fratricides), que pour les populations civiles amies (sanctuarisation du territoire national grâce à la création d'un bouclier antimissiles) ou ennemies (suppression des dégâts collatéraux par une meilleure précision des frappes sur des objectifs mieux connus)

Mieux dépenser

Beaucoup de pays, au cours des toutes dernières années, ont entrepris une remise à plat, souvent drastique, de leur dispositif de défense. Pour être plus mobiles, plus efficaces et plus légères, beaucoup de forces ont été professionnalisées. On s'aperçoit cependant que, sauf à réduire fortement les capacités, cette voie offre peu de possibilités d'économies. Il a donc fallu rechercher d'autres pistes ont été explorées au niveau des dépenses d'investissement. L'une des premières a été l'abandon de l'approche étatique de type "arsenal" qui a longtemps prévalu dans les fabrications d'armements, au profit d'un mode de gestion beaucoup plus proche de celui en vigueur dans l'industrie privée. Si cette démarche a généré de forts gains sur les fabrications, elle a souvent un coût social lourd.

Suivant aussi en cela les démarches du secteur civil, les militaires raisonnent davantage en termes de capacités plutôt qu'en terme de possession de moyens. Cela les amène à recourir à des types de fonctionnement différents, en ayant recours à l'externalisation, sous une forme ou sous une autre, ou à des modalités d'acquisition au travers de montages financiers plus ou moins complexes, sous une forme ou une autre de leasing. C'est ainsi que la Grande Bretagne, qui recourt très volontiers à ce genre de montage et sous-traite depuis longtemps des fonctions comme le remorquage des cibles, externalise désormais une partie du ravitaillement en vol et loue des capacités de transport maritime stratégique. Le risque attaché à ce type de changement est celui de ne pas disposer des moyens requis en temps de crise, ne serait-ce que parce que l'opinion publique s'opposerait à l'action décidée par le gouvernement.

On s'oriente aussi, et cela est particulièrement visible dans l'Europe de la Défense, vers une mutualisation des capacités, mise en commun de moyens au sein de groupes de pays bénéficiant de droits de tirage, y compris au travers de compensations triangulaires. Le risque est aussi de voir ces moyens soit être refusés si le détenteur des moyens s'oppose à l'utilisation qui pourrait en être faite, soit être insuffisante si l'ensemble des détenteurs se retrouve confrontés à la même crise de grande ampleur.


[1] Etats Unis 470.000 terre, 370.000 marine, 350.000 air, Européens de l’OTAN 1.600.000 terre, 330.000 marine, 460.000 air.