Après la prise de KAboul

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Les troupes occidentales ont des difficultés avec l'alliance du Nord qui prend le pouvoir en Afghanistan. En êtes vous surpris?

Jean-Vincent Brisset : En Afghanistan, on a coutume de dire qu'il a 3000 vallées et 3000 chefs de vallée qui ont 3 000 idées différentes. L'Alliance du Nord n'a d'alliance que le nom. Ces hommes se sont toujours battus entre eux. Le générai ouzbek Dostom avait sa propre milice prosoviétique et il faisait la chasse aux moudjahidines; l'intransigeance du commandant Ahmad Shah Massoud et l'inconsistance du président Bab­bani ont provoqué la chute du gouvernement en 1996.. Gulbuddin Hekma­tyar, le leader pachtoun, a perdu toute  influence après avoir tenté de chasser Massoud de Kaboul. Ismaïl Khan a été le seul chef de guerre à établir une paix relative dans son fief d'Herat, au sud de l'Afghanistan, entre 1994 et 1996. Malheureusement, l'Alliance du Nord n'a pas de légitimité et les gens qui arrivent dans les fourgons de l'ennemi, sont forcément mal vus. Ça n'est pas vrai uniquement pour l'Afghanistan.

- Vous étiez contre le renverse­ment du régime des talibans.

- Je pense qu'il aurait été mieux pour les Afghans que les talibans res­tent au pouvoir encore quelques mois, le temps que l'on prépare une solution politique dans le calme. L'objectif des Américains était d'interdire à Oussama ben Laden d'avoir un sanctuaire en Afghanistan. Sur ce point, ils ont parfaitement réussi. On les a obligés à faire autre chose et on a ouvert la boîte de Pandore. Ce n'est pas l'administration Bush qui est en cause mais ceux qui, dans son entourage, ont essayé de se dédouaner de leur soutien aux talibans quelques années auparavant. La réalité, c'est que les gens de l'Alliance du Nord veulent le pouvoir et sont capables de s'entretuer pour cela. Ils l'ont prouvé dans le passé et, malgré tout, on les a aidés à reprendre le pouvoir. Le ministre des affaires étrangères de l'Alliance avait promis que ses troupes n'entreraient pas dans Kaboul, or, dès qu'il a su que les hommes du général ouzbek Dostom étaient prêtes à pénétrer dans la capitale, il a rompu sa promesse et donné l'ordre à ses troupes d'entrer dans la ville. La seule période à peu près calme dans l'histoire de ce pays, c'est quand le pouvoir central à Kaboul était réduit au minimum, du temps du roi Zaher Shah et du prési­dent Daoud. A cette époque, chaque province avait une très grande autonomie.

- Après avoir été très volonta­riste, la Grande-Bretagne semble hé­siter à envoyer plusieurs milliers de soldats en Afghanistan. Pourquoi?

L'Afghanistan reste un souvenir très douloureux pour la Grande-Bretagne. De 1838 à 1842, les Afghans ont défait l'armée des Indes. De 1870 à 1880 les Anglais envahissent à nouveau l'Afghanistan. Ils en sont chassés. Enfin, en 1919-1921, de nouveau, les Britanniques tentent de prendre le contrôle de l'Afghanistan et sont encore obligés de partir. Lors de la troisième guerre, autant les opérations aériennes se sont bien déroulées, autant, quand les troupes étaient au sol, c'était la catastrophe.

- Pourquoi?

L'Afghanistan c'est comme le Vercors, en dix fois plus grand. Ce n est pas un terrain de guerre classique. C'est un pays immense, de la taille de la France plus le Benelux. Avec très peu de combattants. Admettons qu'il y ait 50 000 talibans et 50 000 membres de l'Alliance du Nord pour un territoire de 650000 km², ce n'est rien! D'autre part, c'est un pays où il n'y a ni unité ethnique, ni unité religieuse, où tout le monde a des armes. Et les Afghans ont une culture de la vendetta. Par exemple, lorsque les Soviétiques sont partis en 1988, les moudjahidines se sont emparés des armes laissées par l'Armée rouge et ont commencé à se tirer dessus, entre eux.

- L'opération humanitaire peut-elle réussir?

- Ça ne sera pas facile dans un pays où les chefs de vallée ont plus une tradition de pillage que de distribution»

Recueilli par Agnès ROTIVEL